Le maquis de Kernoalet

Récit partiel de l’action dans la Résistance d’Yvon Chancerelle, frère aîné de Patrick Chancerelle de Kernoalet.

Septembre 1938, après des vacances à Douarnenez je rentre à Salon-de-Provence comme élève officier. Nous commençons à voler sur POTEZ 25 pour passer notre brevet d’observateur, puis quelques mois après nous avons commencé des vols sur MORANE 315 et MORANE 230 en vue de notre brevet de pilote.

Septembre 1939, l’Italie entre en guerre et l’École de l’Air doit évacuer Salon-de-Provence. C’est ainsi que tous les aspirants de l’école, fiers de leurs galons sont chargés dans des wagons à bestiaux, direction Bordeaux et Mont-de-Marsan.

Juin 1940, c’est la débandade. Je quitte Bordeaux dans un avion de fortune vers Perpignan. Arrivé à Perpignan, je traverse la Méditerranée et me retrouve à Oran. Je continue sur Marrakech où je suis affecté au groupe de « reconnaissance », observateur sur POTEZ 25. Comme nous ne volons pas beaucoup, du fait de l’Armistice, fin 1940 je rentre en France. Je me porte volontaire pour encadrer les « chantiers de jeunesse » ; un mois après, je suis affecté à Cauterets.

Que vous dire de Cauterets : la vie consiste pour les jeunes à rester dans leurs piaules pendant que les moniteurs escaladent les pics environnants pendant tout l’hiver 1940/1941 !!! Je monte donc un jour à Chamalières pour voir le grand patron pour lui dire que tout cela ne peut pas durer, il me met à la porte ! Je reprends contact avec l’Armée de l’Air de la Zone Libre et suis immédiatement affecté au groupe de « bombardement » à Istres.

L’année1941, se passe sans éléments marquants : Affecté dans une Armée sous les ordres du Maréchal Pétain et sous la surveillance de l’Occupant.

Le 22 juin 1942, j’épouse Catherine rencontrée en 1940 et nous installons à Salon-de- Provence. A peine installés, nous recevons beaucoup de visites. Une première surprise c’est Patrick. Mon frère Patrick qui vient de s’évader d’Allemagne.

Novembre 1942, la situation est assez tendue et il est question pour beaucoup de pilotes de partir pour l’Afrique du Nord. Avec un ami, nous avons l’intention de voler un avion et de traverser la Méditerranée. Mais la flotte de Toulon se saborde et nous recevons l’ordre de quitter Istres pour remonter vers Lyon.

Les pleins d’essence des LEO 45 sont faits de telle manière qu’on ne puisse traverser la Méditerranée. Nous avons juste ce qu’il faut pour aller à Saint-Rembert-d’Albion, où nous nous posons tous. Cinq heures du matin les Allemands arrivent, mitraillettes aux poings : ils viennent d’envahir la Zone Libre. Ils nous retiennent toute la matinée et nous recevons l’ordre de rejoindre nos foyers, nos avions sont réquisitionnés par l’occupant.

Février1943, nous arrivons à Douarnenez par le train et nous trouvons la Bretagne triste et noire. Nous nous installons à Ker Bihen.

Je ne sais pas ce que je vais faire ; soit partir pour l’Angleterre, soit pour l’Afrique du Nord… Très vite je prends contact avec Luc Robet qui est dans la Résistance depuis un long moment.

Il me met en contact avec une organisation de résistance de l’armée « l’O.R.A » dirigée par le Général MASNOU. Il me dissuade de rejoindre l’Angleterre ou l’Afrique. Finalement je rencontre le Général et nous organisons « l’O.R.A » dans la région de Douarnenez.

Notre P.C est à Kernoalet, où viendra s’installer Patrick de retour de Grenoble. Il y a des départs de bateaux de Douarnenez et d’autres ports de la côte. La Gestapo s’active beaucoup, elle recherche les Résistants. Aussi, prenons-nous quelques précautions. Nous creusons dans le jardin de Ker Bihen une cache dissimulée sous des rondins, des branches et des feuilles mortes, de façon à pouvoir nous cacher, si nous étions réveillés vers deux ou trois heures du matin par la Gestapo.

J’ai prévu une corde pour passer par la fenêtre et rejoindre plus rapidement notre jardin. Mon frère Patrick a pris les mêmes dispositions à Kernoalet. Cette cache lui a été d’ailleurs très utile et efficace lors d’une rafle que les Allemands avaient monté pour le capturer.

Hiver 1944, nous avons de nombreuses réunions de Résistance. Il est prévu un parachutage d’armes dans la forêt du Névet. Nous y passerons quelques nuits sans succès !

La Gestapo est de plus en plus active, il y a des arrestations. Ce pauvre Luc est arrêté à l’arrivée du train à Rennes. Train que je devais prendre avec lui, mais que j’avais manqué. Peu de temps après, c’est l’abbé Cariou qui est arrêté.

Puis Kernoalet est entouré par plusieurs centaines d’Allemands qui arrivent du Juch. Ils fouillent toutes les fermes sauf la maison de Patrick. Elle ne figurait pas sur la carte d’Etat-Major que détenait l’officier allemand en charge des opérations !

Un matin, mon frère Hervé qui va à la messe à Sainte-Hélène se fait arrêter par les Allemand. Ils regardent la liste et disent « non, ce n’est pas le Chancerelle que nous cherchons », Hervé se précipite à la maison pour nous alerter. Nous avons disparus dans la nature…

Juin 1944, les F.F.I sont en folie ! Il faut les calmer. Nous intervenons pour les modérer et essayer de s’organiser.

Août1944,libérationdeDouarnenez: On dit que les Américains arrivent sur Quimper, sur la pointe de la Bretagne. Les F.F.I sont de plus en plus excités. C’est la libération de Douarnenez, des coups de feu partent d’un peu partout. Des unités allemandes qui se trouvent du côté d’Audierne et de la Pointe du Raz se replient sur Douarnenez.

Dans la nuit des F.F.I se précipitent sur l’île Tristan pour obtenir la reddition des Allemands qui y sont. Ils ne veulent se rendre qu’à un officier Français. J’ai donc le mérite d’aller recueillir leur reddition.

La nuit est très chaude. Au petit jour des renforts allemands arrivent sur le Ris et viennent s’établir dans les bois des Plomarc’h. Une résistande F.F.I se met en place. Les fusils-mitrailleurs sont bien utiles. Au même moment, les unités F.F.I qui se trouvent à Kernoalet sous les ordres de Patrick,reviennent sur les Plomarc’h.

Le Commandant Guébriac, qui a pris le commandement des unités F.F.I obtient une trêve de la part des Allemands et les armes sont déposées au carrefour de la Croix.

Nous nous rendons à la Kommandantur de Ploaré pour négocier une reddition. Nous sommes considérés comme des « terroristes » et le Kommandant allemand nous « engueule » tout ce qu’il peut. Nous n’en menons pas large, lorsque quelqu’un frappe à la porte et lui remet un papier, au bout de dix secondes de silence, il nous dit « vous êtes libres ! »

Je n’ai jamais su exactement de quoi il s’agissait, mais je pense que c’était une information comme quoi les troupes américaines avançaient en direction de Douarnenez. En effet, le soir même les troupes allemandes avaient quitté la ville et s’étaient repliées du côté de Sainte-Anne-la-Palud.

Nous occupons les hauteurs de Tréfuntec, au dessus de la plage et retrouvons les unités F.F.I, ainsi que les unités françaises et américaines. Nous avons devant nous les troupes allemandes qui se replient.

C’est de cette position que nous assisteront impuissants, à la « méprise de Telgruc » et au bombardement des troupes américaines et françaises par les avions de l’US air Force. L’abbé Heydon de Plogonnec, y trouvera la mort.

Par la suite nous prendrons part au siège et aux combats du Ménez-Hom, dernier point de résistance de la presqu’île.

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Texte extrait de la biographie d’Yvon Chancerelle.

11/12/2023/DH.16/PPdP