Carnet de route de Jean-Marie HEYDON

Avertissement
La famille HEYDON nous a confié le carnet de route de leur grand-oncle et nous a donné l’autorisation dede le diffuser, après l’avoir expurgé des passages trop personnels, ce que nous avons fait, vous le constaterez lors de la lecture, lorsque vous verrez des :………………….., qui remplacent ces passages.

Commentaires
Jean-Marie était prêtre, son Capitaine, commandant de la batterie le nomme brigadier (caporal), dès le 5 août 1914, le 6 août il prend la fonction de brigadier fourrier, (un fourrier avait la charge de l’approvisionnement en vivres, en matériel et le couchage de la compagnie ou de la batterie, le plus souvent  sous les ordres d’un sergent-major), ce qui fait dire à Jean-Marie « j’aime mieux cela… »Il bénéficie d’un traitement de faveur, ce qui apparaît à la lecture de son carnet, il est invité à la table des officiers de la batterie et couche souvent dans un lit,  à une époque où les officiers ne s’adressaient à la « troupe » que par l’intermédiaire des sous-officiers. Il est de fait l’aumônier officieux de sa batterie, c’est l’ecclésiastique, l’homme d’église, qui a les faveurs du commandement, les officiers assistent à toutes ses messes.  Jean-Marie, affecté au 28ème régiment d’artillerie, a été tué au combat le 24 octobre 1914 à Henu dans le Pas-de-Calais. (Fiche soldat).

Pour les « passeurs de patrimoine »  Hubert Dantic

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Dimanche 2 août 1914 :
premier jour de la mobilisation générale.
Lundi 3 août  :
deuxième jour de mobilisation. Parti de QUIMPER à 8h20. Beaucoup d’entrain. Arrivé au cantonnement de la 41 B.I.E. à ARRADON à 5h00. Tout va bien.Je dîne et loge au presbytère, monsieur le curé et monsieur le vicaire sont charmants. Merci à Notre Dame de Lorette qui me protège.Demain je dis la messe à l’école des frères.
Mardi 4 août  :
Toute la journée en soutane. On sera habillé demain. Tant que nous resterons ici, je dirais  tous les jours des messes à l’école des frères.
Mercredi 5 août  :
J’ai dit la messe. Après déjeuner j’ai touché mes habits de servant et je quitte ma vieille soutane pour un habit tout neuf. 9H1/2, le Capitaine me nomme brigadier à la 4ème pièce. Je dîne au presbytère. 2H00, je touche une veste avec des galons rouges.
Jeudi 6 août  :  
Ce matin, …………………., le Capitaine m’appelle ainsi que le brigadier Moysant qui est avec moi, à 9h00 on me bombarde brigadier fourrier. J’aime mieux cela.Ce soir grande nouvelle, nous embarquons à Vannes le 11 août à 12h00 pour une direction inconnue.
Vendredi 7 août  :
Journée pas trop dure. Je commence à me mettre au courant du service. Nous partons de ARRADON, non pas le 11 mais le lundi 10 août à 11h00 du soir, pour nous rendre dans un autre cantonnement, où nous pourrons manœuvrer. Reçu les 44 premiers chevaux.
Samedi 8 août 1914 :
Reçu des chevaux toute la journée, un détachement de CHATEAULIN, un autre de QUIMPER. J’ai vu Hémon de LOCRONAN, Douaré de Goulit ar Guer, Yves Pennanéac’h et Moysan de PLOGONNEC. Jean me cherche à VANNES m’a t’on dit. Mais il ne me trouvera pas. Les fils de Kervenez partent ce soir à VANNES.
Dimanche 9 août :
Aux intentions de mes compagnons d’armes et les gars de PLOGONNEC qui sont partis avec moi, messe militaire à ARRADON à 6h1/2. Assistance nombreuse. Environ 300 soldats et tous les officiers de la batterie. Tout va très bien, sauf qu’il a fallu travailler toute la journée. Demain à 11h1/2 du soir, départ pour NANTES où nous resterons longtemps probablement.Grande joie. Prise de COLMAR et de MULHOUSE confirmée officiellement………………………
Lundi 10 août  :
Partis à 11h00. Embarquement sans incident, la route sur NANTES s’accomplit gaiement. Je vais essayer de dormir un peu.
Mardi 11 août :
Nous passons à NANTES vers 9h00. Tout le monde nous acclame, croyant que nous allons directement sur BERLIN en train de plaisir. A 10h00 nous débarquons à DOULON (quartier militaire) Nous allons à St Jos de Porthicq.
Mercredi 12 août :
A St Jos de Porthicq nous sommes cantonner chez Mr Romzan de Lasseur. Tout va bien. Batterie attelée tous les jours.
Jeudi 13 août  :
Rien de neuf. J’ai été voir Mr le Curé. Il est très gentil, mais pas moyen de dire la messe.
Vendredi 14 août  :
Toujours pareil. Demain je dis la messe des soldats à 8h00 à St Jos de Porthicq.
Samedi 15 août  :
……………………………..Dimanche 16 août 1914 : Ce matin départ pour la manœuvre à 5h00……………………………………..
Lundi 17 août  :
……………………………………….. Un ordre arrivé ce soir, nous ordonne de nous tenir prêts à partir. Où allons-nous ? Vers le théâtre de guerre probablement.
Mardi 18 août  :
Nous partons d’ici ce soir à 11h00. On ne sait pas  encore où, il est probable que nous voyagerons longtemps, car on nous a donné 3 jours de vivres. Départ enthousiaste de NANTES à 7h00 du soir du cantonnement et à 11h1/2 de la gare.
Mercredi 19 août  :
Je n’ai pas pu dormir la nuit sur des banquettes rembourrées en noyaux de pêche. La gaieté demeure. Nous chantons et on nous acclame dans les villes où nous passons. ANGERS, Le MANS, CHARTRES, RAMBOUILLET, VERSAILLES, PALAISEAU, où nous débarquons à six heures et demi du soir.
Jeudi 20 août  :
Nous sommes arrivés au cantonnement de Choisy le Roy à 10h1/2 du soir bien fatigués quoique gais cependant. On s’est roulé dans nos manteaux et ma foi j’ai très bien dormi. Ce soir j’ai trouvé un lit. Quand pourrai-je dire la messe ?
Vendredi 21 août :
Aujourd’hui repos. J’ai fait ma comptabilité, ensuite je suis allé voir le curé et les infirmiers de la division, j’ai trouvé plusieurs confrères……………………., cela fait du bien de les voir.
Samedi 22 août  :
Ce matin à 5h00 j’étais à cheval prêt à partir à la manœuvre, quand le commandant est venu nous dire de rentrer mes chevaux et de nous tenir prêt à retourner à Palaiseau.Nous partons ce soir à  7h1/2 pour nous rendre à LILLE. Nous approchons de la frontière, que Dieu nous garde.
Dimanche 23 août  :
Arrivée à DOUAI.
Lundi 24 août :
Le canon tonne depuis ce matin, j’ai entendu les premiers à 8h00. Nous mettons en batterie à 10 kilomètres de DOUAI.
Mardi 25 août  :
2 heure du matin. Nous sommes à 8 kms à l’ouest de DOUAI. Le canon tonne du côté de LILLE et MAUBEUGE. Quelle déroute et dire que nous n’avons pas pu soutenir notre infanterie. 5H1/2 j’ai reçu le baptême du feu, nous avons tiré 4 obus sur une patrouille de Hulans. Ils ont décampé.
Mercredi 26 août : 
Nous sommes arrivés au cantonnement à ARRAS hier soir à 8h1/2. Nos chevaux n’avaient pas été désellés depuis le 24 août 4h1/2 et nous n’avons eu que 3 heures de repos durant tout ce temps.Ce matin à 4h nous avons resellés et nous sommes arrivés à ABLAIN- St NAZAIRE à 11 heures. Nous y cantonnons pour nous faire reposer un peu. Je loge à la cure dans un bon lit. Quelle veine et quelle roupillade je vais faire. C’est le Commandant qui m’a cherché mon lit.
Jeudi 27 août :   
Ce matin, je me suis levé à 4h1/2 j’ai dit la messe à 6h quel bonheur ! Depuis le 16 je n’avais pas eu ce bonheur. Nous avons reçu l’ordre de nous tenir prêts à partir. A 12h l’ordre est arrivé. Nous partons d’ici à 7 h du soir pour aller embarquer en pleine voie à 12kms d’ici, pour aller où ? Dieu le sait. J’écris un petit mot à la maison avant de partir. Je viens de recevoir mes baguettes (1) de brigadier fourrier.
Vendredi 28 août :  
Départ à 5h. Le canon tonne en direction d’ARRAS Sud-Est, c’est une canonnade continue. Nous autres nous filons sur la Somme vers ABBEVILLE. Le canon a tonné jusqu’à une heure avancée de la nuit. C’est à BAPEAUME qu’on se battait la veille. Nous sommes cantonnés à AGNIERES auprès d’AUBIGNY, j’y ai retrouvé mes confrères infirmiers (2).
Samedi 29 août : 
Aujourd’hui départ à 4h à AVESNES le COMTE. J’ai rencontré Job CADIOU avec les blessés du 219ème. Il y a eu deux bataillons d’éprouvés très fortement. Un prêtre du Finistère a été tué jeudi à BAPEAUME (Baron ? Bérérin?).Le canon tonne encore. Arrivée au cantonnement de Frévent. Je mange et loge ce soir avec les officiers chez la baronne dans un superbe château, le plus beau du Nord, j’ai une chambre magnifique.
Dimanche 30 août : 
Départ de Frévent à 4h3/4. Je viens de passer une très bonne nuit dans un bon lit. Quel triste dimanche, je vais encore passer sans messe. Aujourd’hui pardon de Ste Anne. Je prie cette bonne mère de me protégertoujours et de protéger ses bretons déjà si fortement éprouvés dans les combats de ces derniers jours. Nous continuons notre route vers le Sud pour nous placer derrière l’aile gauche du Général. Cet après-midi, nous étions au bourg de Fienviller dans une grande ferme. J’ai voulu dire un petit bonjour au Bon Dieu mais j’ai trouvé l’église bouclée, Mr le curé est parti à la guerre à 7h1/2 du soir l’ordre arrive de garnir et seller les chevaux. Le canon tonne depuis 4 heures environ mais loin,. Demain nous partons à 3 heure.
Lundi 31 août : 
Partis à 3h nous avons passé à St OUEN, population bien sympathique. A 12h nous sommes arrivés à Airaines jolie petite ville où nous cantonnons le soir pour repartir demain à 3 heure. A moins d’un ordre contraire.
Mardi 1er septembre : 
Repos sur place. Hier à 8h pendant le souper une fameuse alerte : il a fallu plaquer là sa viande et se presser autour des chevaux et des armes. Heureusement que c’était des tas de blés qu’on avait pris pour des Prussiens.
Mercredi 2 septembre : 
Nous passons de la Somme à la Seine-Inférieure. Nous cantonnons à Hoden s/Bose. Départ demain à 3h. Nous mangeons chez le curé, tous les sous-officiers. Nous quittons les cavaliers pour rejoindre la colonne. Nous étions cependant bien mieux en flanc-garde.
Jeudi 3 septembre : 
Arrivée à VATTERVILLE à 12h l’étape n’étant pas très longue une vingtaine de kms. Maintenant nous serons à ROUEN dans deux jours. Ensuite nous irons où Dieu voudra. J’ai reçu aujourd’hui 4 cartes et une lettre, les premières nouvelles depuis mon départ.
Vendredi 4 septembre : 
Nous sommes partis à 4h pour St SAENS. Nous mangeons chez un des vicaires de la ville, qui demeure auprès du quartier. Arrivée à St SAENS à 12heures.
Samedi 5 septembre : 
Repos à St SAENS. Nous partirons demain matin pour QUINCAMPOIX. Si l’on marche raisonnablement je pourrai dire la messe en arrivant.
Dimanche 6 septembre : 
Partis de St SAENS à 4h………………………. quelle lenteur en route, nous nous arrêtons toutes les 5 minutes ! Oh ! Ces fantassins comme ils traînent sur les routes. A midi j’étais encore à cheval et je n’ai fait qu’une quinzaine de kilomètres ! Demain repos, mais je suis cantonné à deux kilomètres de l’église.
Lundi 7 septembre : 
Repos encore comme hier. Je pars à 6h avec un sous-lieutenant chercher un abreuvoir pour les chevaux, nous en avons trouvé un épatant à 6kms du cantonnement.
Mardi 8 septembre : 
Repos, mais impossible d’aller dire la messe. Pour le fourrier jamais de repos complet. Les gens chez qui nous logeons sont des gens très désagréables. De vrais Normands qui aimeraient avoir des Allemands que nous.
Mercredi 9 septembre : 
Aujourd’hui j’ai pu trouver une bicyclette, je suis allé à QUINCAMPOIX dire la messe, quelle bonheur ! On dit que les Cosaques sont à PARIS et que nous resterons dans la région de ROUEN jusqu’à la fin de la guerre.Revue par le Général Lamade à 4 heure. Très bien.
Jeudi 10 septembre : 
Bien attelé à 5h, nous avons fait une belle promenade ce matin. A peine revenu au cantonnement l’ordre de se tenir prêt à partir demain matin est arrivé. Monsieur l’aumônier de Division est venu me voir. Il est très gentil.
Lundi 14 septembre :
 …………………………………Je suis parti à 5h temps épouvantable. L’étape a été de 30 kms. Pluie et vent toute la route, enfin nous sommes arrivés à SENTELIE dans la Somme, donc en pays connu. Les gens sont plus agréables que dans la Normandie. Demain repos, donc je pourrai dire la messe, car je loge tout près de l’’église.
Mardi 15 septembre : 
…………………………………………………. Partirons-nous demain ? D’aucuns disent que le Génie n’a pas fini encore de réparer les routes coupées par les Allemands.
Mercredi 16 septembre : 
Petite étape ce matin 12kms heureusement que le beau temps est revenu……………. Étape dans le bourg de Namps en Val, l’église est fermée, il n’ y a plus de curé.
Jeudi 17 septembre : 
Nous sommes passés à AMIENS à 10h les habitants sont très sympathiques.Ils ont logé les Allemands qui ont amené 1500 hommes de la ville. Ainsi son-t’ils heureux de nous voir, nous les Bretons de Bretagne. Nous sommes cantonnés à COISY à 6kms au Nord d’AMIENS. Je suis cantonné chez un vieil adjudant de 1870, qui a encore descendu deux Allemands au coin d’un bois, il y a deux jours. Les Allemands sont passés ici il y a quelques jours.
Jeudi 18 septembre : 
à 8h hier au soir ordre de se tenir prêt à partir à 5h. A 5h10 j’étais à cheval. Un quart d’heure après, ordre de ne partir qu’à 9h-9h1/2. Si j’avais su plus tôt, j’aurai pu dire la messe, quelle déveine………………….A 12heure nous étions au cantonnement de Fréchencourt, petit bourg à  10kms de COISY. Nous sommes à 30kms des Boches. Nous avons mis en batterie dans un endroit où les Allemands avaient bivouaqué il y a 15 jours.
Samedi 19 septembre : 
Aujourd’hui repos à Fréchencourt, l’après-midi. Le matin j’ai été en reconnaissance avec les officiers, reconnaître des positions. Triste bourg, pas de prêtre.
Dimanche 20 septembre : 
Aujourd’hui repos sur place. J’ai pu dire la messe ce matin, le bedeau m’a procuré du vin. Il y avait au moins 600 à 700 soldats à la messe. Les gens du pays en était tout bête. Eux ils n’ont pas l’habitude de mettre les pieds dans une église, ou du moins rarement. Demain nous ferons encore la manœuvre, car nous n’avons pas d’ordre de partir. Le temps est très mauvais, nous pataugeons dans la boue jusqu’au genoux. Tous les sous-officiers et quelques lieutenants, nous logeons sur la paille dans une salle de billard d’un café.
Lundi 21 septembre : 
Aujourd’hui reconnaissance des postes de combat. Mise en batterie sous une pluie torrentielle et froide. Nous rentrons à midi transis et mouillés. Nous avons passé sur le champ de bataille de Pont-Noyelle où le Général Faidherbe livra une grande bataille.
Mardi 22 septembre : 
Ce matin nous manœuvrons sur une autre position, nous avons fortifié l’emplacement des pièces. Rentrés à 11heure. Nous recevons l’ordre de nous tenir prêts à partir à 2heure, à 3 heures de route. Nous cantonnons à Puchevillers. Le curé est charmant, il m’a offert un lit.
Mercredi 23 septembre :  
Ce matin,………………………….., nous attendons les ordres, en attendant repos. Pourvu qu’on y reste quelques jours, c’est tout ce que je demande. Toute l’après-midi, le canon tonne du côté de Noyan ou même plus prêt vers l’Ouest de St QUENTIN. Hier j’ai appris la destruction de la cathédrale de REIMS par les Allemands, les sauvages, et dire qu’ils invoquent Dieu toujours. Il est 7h, je vais au salut, je n’ai pas encore d’ordre pour demain.
Jeudi 24 septembre :
………………, Départ à 9h, le canon tonne sans discontinuer depuis le matin dans la direction de St QUENTIN. A 3 heures nous arrivons au cantonnement à Amplier dans le Pas-de-Calais, je quitte pour 3 jours la plume de 6 pieds pour des draps de lit.
Vendredi 25 septembre : 
Ce matin, départ à 5 heures. Le canon tonne sans discontinuer depuis 4 heures ce matin. Nous nous dirigeons directement sur l’ennemi. A midi grande halte à Andifer. Nous arrivons au cantonnement à Courcelle-la-Courte à 6h du soir. 12H1/2 à cheval, cela ne me fait plus grand-chose, il paraît que j’ai encore un lit ce soir. Tant mieux j’y dormirai content. Demain nous tirons le canon.
Samedi 26 septembre :  
Nous sommes en position d’attente sur le champ de bataille de BAPEAUME, où on s’est battu en 1870 et le 27 août dernier. Le canon tonne devant nous à 4 ou 5 kms sans discontinuer  et il est probable qu’avant ce soir nos pièces cracheront. Je me confie à Dieu et à Notre Dame de Lorette. Le combat a commencé pour nous à 3h et cela a bien marché. Le soir trois immenses incendies éclairent l’horizon d’une couleur sinistre.
Dimanche 27 septembre : 
Hier soir nous avons bivouaqué dans un verger à Ligny-Thiloy . A deux heures du matin alerte, où on est vite  prêt, deux canons à la sangle de mon cheval, la bride à sa tête et nous voila parti. Nous prenons position dans la Somme près de Hamel-Beaumont. Rien d’anormal dans la journée, on entend le canon au loin.            A 6 heures départ pour le cantonnement à Beaumont-Hamel.C’est le 1er octobre que j’écris ceci sur le champ de bataille pendant que les obus allemands tombent à 50 mètres de moi, mais cela ne m’émotionne plus. J’en ai bien vu d’autres depuis le 28 août.
Lundi 28 septembre :  
Aujourd’hui grand combat. Nous avons tiré le canon toute la journée et en même temps, nous recevons tout autour de nous une volée d’obus allemands, mais aucun dégât pour nous. Avec 12 obus sur le château de Thiepval (Pas-de-Calais) nous avons tué plus de 300 Boches.
Mardi 29 septembre : 
Même combat acharné que hier. C’était une canonnade sans arrêt toute la journée d’un côté comme de l’autre. Pan, Pan, deux obus viennent d’éclater à 30 mètres de moi et à au moins 50 mètres en l’air.
Mercredi 30 septembre :  
Même édition que hier. Aujourd’hui j’ai ramassé une fusée d’obus sur le champ de bataille, étant en reconnaissance avec mon Capitaine. Nous l’avons encore une fois échappé belle ! Merci à Notre Dame de Lorette.
Jeudi 1er octobre : 
Aujourd’hui même combat. En allant voir un sous-lieutenant du 84ème d’infanterie, qui réclamait un prêtre (il était blessé très furieusement à l’épaule). Donc en allant le voir, j’ai trouvé un bidon prussien, il remplacera le mien qui est rouillé. Enfin, il paraît que demain nous reposerons, il est temps.
Vendredi 2 octobre : 
Même lutte acharnée, surtout à coup de canon, les oreilles m’en bourdonnent. J’ai encore passé 12 heures sur la même meule de foin. Un veau qui était attaché à 10 mètres de moi a été tué d’un éclat d’obus. Notre Dame de Lorette m’a encore protégé.
Samedi 3 octobre : 
Me voilà encore sur mon tas de foin de trèfle à 6h du matin. Que m’arrive t’il, Dieu le sait. À 6 heures du soir je le quitte. Je le quitte pour revenir encore cantonner à  Auchevillers, la canonnade a encore été la même.(3)
Dimanche 4 octobre : 
Nous voilà au St jour du Seigneur, pour moi ce sera encore un bien triste dimanche. A 6h je rejoins mon éternel tas de foin, en y arrivant nous sommes salués par une avalanche d’obus allemands qui nous tombent un peu de tous les côtés. A 11h notre Infanterie générale commence à fléchir sous la grêle d’obus qui leur tombe dessus. Une demie heure après l’ordre est donné de reculer et prendre une autre position. A peine y sommes nous arrivés, qu’il faut repartir de nouveau car un avion nous a repéré, et les obus ne tardent pas à pleuvoir. Nous reprenons une nouvelle position entre Auchevillers et Hélurten, nous bivouaquons sur les positions sans pain, rien que du singe et du biscuit à manger.
Lundi 5 octobre : 
Depuis hier nous n’avons pas bougé. J’ai dormi une heure environ puis il a fallu me lever pour me chauffer les pieds. Le combat a duré toute la nuit et est venu violent à la pointe du jour. Les Allemands nous saluent de temps en temps par une grosse marmite d’obusier de 105, qui font plus de bruit que de mal. Le soir cantonnement à Bus en Artois. 
Mardi 6 octobre : 
Même position qu’hier, même combat violent, l’active est à nos côtés, tout marche bien, nous avons couché des compagnies entières d’Allemands sur une crête, où ils se montraient devant nous. Le soir cantonnement à Louvancourt.
Mercredi 7 octobre : 
5heures en position d’attente auprès de Bartrancourt, à 11h reconnaissance et préparation d’une position défensive auprès de Courcelle en Bois. Tout autour de nous, on se bat avec acharnement aussi bien le jour que la nuit. Cantonnement à Bus en Artois.
Jeudi 8 octobre : 
Parti à 5h1/2 je me trouve en position d’attente au Sud-Est de Courcelle en Bois, toute la nuit on a tiré le canon et en ce moment, se livre un grand combat d’artillerie, à 17h, nous avons pris part à la fête 340 obus que nous leur avons livrés. Le soir cantonnement à Grandreupré. En route direction d’ARRAS.
Vendredi 9 octobre : 
Ce matin nous continuons notre route. A 8h position en attente à 1200 mètres Sud-Ouest de Bailleulmont. Les marmites pleuvent sur le village, l’une d’elle vient de tuer 23 fantassins qui faisaient la soupe dans une maison. Cantonnement le soir à L’Arbret  à côté de Bavincourt. Journée paisible, toute la journée au soleil et le soir dans un bon lit.
Samedi 10 octobre : 
Ce matin départ à 4h1/2 pour venir occuper la même position. Nous ne ferons rien encore aujourd’hui, car on vient de donner nos munitions à d’autres. Donc repos complet sur place et le soir même cantonnement et même lit à l’Arbret près de Bavincourt.
Dimanche 11 octobre :  
Quel triste dimanche que je vais passer aujourd’hui. Les cloches de Baillemont  sonnent la messe à 1 km et pas moyen d’y assister si ce n’est par la pensée. Mais aujourd’hui c’est à Plogonnec que j’ai été à la messe.Le canon, la fusillade et les mitrailleuses font un tapage infernal, mais nous autres, nous sommes encore en réserve et tranquillement allongés le long d’un talus. Nous attendons 6 heures pour rentrer au cantonnement à l’Arbret.
Lundi 12 octobre : 
A 6h nous occupons la même position d’attente que les jours précédents nous ne ferons encore pas plus que les autres jours, car les bruits du combat se sont un peu éloigné et on parle de nous expédier ce soir sur un autre front.Ce soir cantonnement à Simencourt.
Mardi 13 octobre : 
A 6h en position près de Mouchiet. Nous fortifions nos positions, c’est tout ce que nous faisons. Le temps est pluvieux, on ne voit rien, aussi les coups de canon sont plutôt rares. Le soir cantonnement à Gouy en Artois.
Mercredi 14 octobre : 
Ce matin même position, même trucs, quelques rares coups, de temps en temps pluie. Le 20ème Corps est à notre droite,et le 10ème à notre gauche. Quelques marmites tombent mais rares. Le soir cantonnement à Foisseux. Demain à la disposition du 10ème Corps.
Jeudi 15 octobre : 
Promenade sentimentale sur route de 6h à 13h, par Warlu, Berneville, Simencourt, pour venir prendre position au Sud-Ouest de Beaumetz où les marmites allemandes tombaient hier. Aujourd’hui on loge sur le terrain et demain repos. Une seule pièce est restée sur le terrai, le reste cantonnement à Fosseux. Demain repos.
Vendredi 16 octobre : 
Quelle veine de dormir sur un matelas et se lever à 7h. Il y avait bien longtemps que je n’avais pas joui d’un pareil repos. Malheureusement il n’y a pas de prêtre ici, c’est pourquoi je n’ai pas pu dire la messe. Dans la journée nous avons été cueillir des noix plein nos musettes. Avec du pain rien de meilleur, cela vaut du beurre et de la viande.
Samedi 17 octobre : 
Aujourd’hui nous marchons comme soutien de l’infanterie, toujours à la disposition du 10ème Corps. A 11h du soir, nous nous trouvons à 1000 mètres des lignes prusiennes, avec seulement un rideau de tirailleurs entre eux et nous. A ce moment ordre nous est donné de venir bivouaquer auprès de Bailleuval et Basseux. La nuit n’a pas été trop mauvaise, sauf que le matin, quand je me suis réveillé,  j’avais un peu froid, cela parce que un cheval avait mangé toute la paille sur laquelle j’étais couché ! Le sale voleur., si je n’avais pas été si fatigué, je l’aurai senti.
Dimanche 18 octobre : 
Aujourd’hui St jour du Seigneur, je me trouve en observation avec mon capitaine à 200 mètres de l’église de Bailleuval où la messe vient de finir et dire que je n’ai pas pu y assister que d’esprit. Comme j’enviais le sort des fantassins que je voyais entrer dans l’église ! Mais l’ennemi était là, de temps en temps, il fallait lui envoyer un pruneau sec à mâcher.A quelle triste chose que la guerre ! Je viens d’apprendre par un fantassin que Louis Labbé, caporal au 71ème a été fait prisonnier le 4 septembre, pauvre ami ! Je viens de recevoir une lettre de Jean-Louis du 4 octobre et une carte de Philomène du 27 septembre. Cela fait plaisir. Ce soir j’ai encore reçu 4 cartes de Philomène, de Mr le recteur, de Mr Le Stum et de Jean-Louis. Tout va bien Merci mon Dieu. J’ai cantonné ce soir à Beaumetz les Loges, que de maisons abandonnées et dévalisées dans ce pauvre bourg où les Allemands sont passés deux fois et qu’ils ont bombardé . Ah ! Que maudite soit la guerre !
Lundi 19 octobre :  
Ce matin 6 heures, je suis dans une tranchée au Sud-Ouest de Beaumetz. La journée sera calme je crois car une brume épaisse nous enveloppe. Nous n’avons rien fait de la journée et le soir une batterie du 29ème est venue nous relever. Nous sommes venu cantonner à Wauquetin, on y est assez bien.
Mardi 20 octobre :  
Aujourd’hui repos à Wauquetin. A 8h grand speech du Colonel Charbonnet, commandant le Groupe, la tenue militaire et surtout l’initiative personnelle. Quelle claque, le pauvre homme, il se croit encore au Quartier, faisant de la théorie aux bleus ! A 9 heures, j’ai le bonheur de dire la messe.
Mercredi 21 octobre : 
Repos encore, j’ai dit la messe à 8 heures…………… A 4 heures arrive l’ordre de partir pour aller relever le 29ème d’artillerie à Beaumetz. Nous cantonnons à Beaumetz, je loge chez Mr le Maire. Quelle soirée nous avons passée.
Jeudi 22 octobre :  
Ce matin repos, je n’ai pas pu dire la messe. A 11 heures ordre de partir à 3h1/2 prendre position auprès de Berles les Bois. Nous y passerons la nuit et la journée de demain. A 5 heures nous sommes arrivés au point indiqué, qui est occupé par une batterie du 29ème, à la nuit nous avons pris l’emplacement de cette batterie.
Vendredi 23 octobre : 
J’ai assez bien reposé dans une tranchée couverte dont les fantassins nous ont fait cadeau, mais on est tout de même mieux dans un lit. Ce matin j’ai accompagné le capitaine à un poste d’observation à 1 km et relié à la batterie par un téléphone du 8ème Génie.

Ainsi se termine le carnet de Jean-Marie HEYDON, document rare, tenu avec précision, surtout en ce qui concerne les lieux de cantonnements, les villes traversées et la description des combats d’artillerie.

 Paroles de Jean-Marie:
« Ne pleurez pas, si je tombe sur le champ de bataille, N.D. de Lorettte ne m’abandonnera jamais. »

Ordre du jour:
«  A fait preuve de la plus grande abnégation et du plus grand courage »

(1) les baguettes sont des galons dorés portés sur chaque manche, entre l’épaule et le coude, signe distinctif de la fonction de fourrier.(2) les prêtres, les séminaristes, les musiciens régimentaires étaient pour la plupart, versés dans le corps des infirmiers ou des brancardiers.(3) Jean-Marie, en plus de ses fonctions de fourrier, devait être « observateur ». L’observateur était placé en avant des pièces d’artillerie et corrigeait le tir des canons, soit par signaux, soit par téléphone, comme il le précise dans son dernier compte-rendu en date du 23 octobre, veille de sa mort.