Paul Chancerelle : De Lille à Lourdes

 …Suite évasion de Paul  Chancerelle en territoire occupé.                 

DOLBAÛ – LOURDES 

Arrivé à Lille, je n’étais pas encore au bout de mes peines. Lourdes était encore loin. Je prends le train pour Paris, mais toujours sans-papiers, ni carte d’identité, donc à la merci du premier contrôle allemand. Je m’installe dans mon compartiment et, épuisé, je m’endors jusqu’à  Paris.
En arrivant à Paris, je passe ma main dans mes cheveux et je me trouve avec une couche de beurre sur la tête. Incident bien typique de l’époque du marché noir. Il faisait très chaud et la provision de beurre, stockée dans le filet au dessus de ma tête, avait Iittéralement fondue sur moi. Dommage pour le propriétaire qui n’a pas dû trouver son compte, ni pour moi qui ai senti le rance pendant plusieurs jours.
Je descends chez les B. DEBROTSE qui se trouvaient au mariage des YVONS à Saint Jean-de-Luz. Seule, Marie me reçoit avec beaucoup de gentillesse.
Il me restait maintenant à franchir la ligne de démarcation, dernier obstacle sérieux. Bernard m’indique qu’il peut avoir des relations avec le Directeur S.N.C.F. de Bordeaux et me conseille d’avoir recours à lui.
Toujours sans papiers, je reprends le train. Voyage sans encombre. Je me présente au chef de gare. Ce dernier un peu méfiant, méfiance bien compréhensible où à cette époque tout Ie monde était suspecté. Il feint de ne rien comprendre et comme c’était Ie 14 Juillet, iI me dit de repasser dans 2 jours. Me voilà donc, pour 48 heures, sur les pavés de Bordeaux.
Le 15, me voilà à nouveau chez mon chef de gare qui, cette fois, est adorable. Entre-temps il avait communiqué avec Paris. Il me dit “D’accord, ce soir au dépôt des locomotives”.
Je suis au rendez-vous et on me donne un bleu de chauffe, une petite lanterne et je vais me coucher au dépôt. 5 heures du matin un cheminot frappe à Ia porte ! “Ça y est, on y va !”. Je le suis sur le quai, nous y croisons des sentinelles allemandes. J’agite ma lanterne. Nous arrivons devant la locomotive. Le mécanicien qui est prévenu, lance un grand jet de vapeur et mon collègue cheminot me glisse à l’oreille “Allez fonce et bonne route !”. Je me hisse un peu ému sous le tander. Entre les roues avait été fixée une poutre. J’ai Ia surprise d’y trouver un compagnon de voyage. Longue attente, un sifflet et Ie convoi s’ébranle. Je vois sous moi les traverses de chemin de fer qui s’accélèrent. Tout va bien.
Le train s’arrête à la ligne de démarcation à hauteur de mon nez. Sur le quai je distingue les bottes des Feld-gendarmes venus inspecter le train.
Le train repart et s’arrête à nouveau à Agen. Le chauffeur de Ia loco m’appelle et me fait descendre de mon perchoir, me fait monter avec lui. On y est quand même mieux pour voir défiler le paysage. Je donne à mon nouveau coIlègue un coup de main pour alimenter le foyer en charbon. Me voilà maintenant mécanicien de locomotive ! J’avais déjà été cultivateur, Iaitier, horticulteur, cantonnier, vacher, mon éducation continue !
Arrivé à Montauban, je fais mes adieux à mon cheminot et demande I’adresse des autorités militaires pour me faire démobiliser. Dans la cour de Ia gare je suis un peu surpris de trouver des “vélos pousse-pousse“. Je me paie Ie luxe d’en appeler un qui me mène à toute allure à une caserne.
Trois jours dans cette caserne et je reprends le train pour Toulouse. De là je mets le cap sur Lourdes à pied pour terminer mon voyage et accomplir mon voeu :  Halle – Lourdes.
À 20 kms de Lourdes, vers 22 heures, ne sachant où coucher, je rentre dans un village et vais frapper à la porte d’un presbytère. Je trouve un curé assez peu compréhensif. Je lui explique que j’arrive tout droit d’Allemagne et que je vais en pèlerinage d’action de grâce à Lourdes. Peut-être pourrait-il  m’abriter pour la nuit ? Je ne suis pas exigeant : une botte de foin et si possible un abri feraient bien mon affaire. Eh bien non ! Il faut croire que je sentais encore le rance et que ma tête ne lui revenait pas !
Je repars un peu déçu et vexé. Je suis allé me coucher un peu plus loin dans un fossé. Le froid me réveille assez tôt et je reprends ma route.
J’arrive au petit matin devant la grotte de Lourdes où je me retrouve unique pèlerin, mais combien ému et reconnaissant après tant d’incidents et d’émotions vécus pendant mon odyssée.
Juin 1992… 50 ans ont passé et, conduit par Loïc et ses filles, je revois Halle – Volpern ! Que de souvenirs ! ! !

Source passeurs de mémoire E bro Plogoneg :à partir de documents prêtés par la famille Chancerelle de Kernoalet en Plogonnec.