La Chaise de Saint Élo


KADOR SANT ELO

Au Sud-Est de la chapelle de saint Égonnec en Plogonnec et non loin de l’ancien château de Guengat se trouve une « Chaise de Saint Élo ». Aujourd’hui cette pierre druidique est un peu oubliée des habitants du secteur. Elle fait pourtant partie d’un ensemble cultuel local avec la Gazeg Vaen de Locronan, les menhirs du Bourg de Plogonnec, l’ancien dolmen de Toul ar Gramp Zu de la route de Plogonnec à Guengat, et la fontaine de la chapelle de Saint Égonnec.

Pour réaliser l’étude physique de cette chaise, j’ai été précieusement aidé dans mon travail par Monsieur Joël Rolet, géologue à l’Université de Bretagne Occidentale, de l’U.R.A. C.N.R.S. n° 1278. Je lui exprime toute ma gratitude pour sa disponibilité et la rigueur de son jugement.

  1. LOCALISATION.

La chaise sacrée dite « Kador Sant Elo » est située sur le territoire de la commune de Guengat, à 2,125 kilomètres au Nord-Est de ce bourg, au dessus de la ferme de Guinorvan. Ni route ni chemin creux n’y mène directement. La pierre est à 127 mètres d’altitude, pas loin du sommet d’une colline, dans une parcelle couverte de broussaille. Cette parcelle, appelée « Goarem Sant Elo », est référencée sous la mention « section Z.C. n° 52.7 » du cadastre de Guengat et fait partie de la ferme de Penn ar Guer.

Anciennement, avant la révolution de 1789, cette parcelle de terre relevait  de la paroisse de Plogonnec.

  1. CARACTÉRISTIQUES.
  1. LES TÉMOIGNAGES ANTÉRIEURS.

Voici la description que le Chanoine H. Diverres nous fait de cette chaise [1]en 1891 :

« Non loin de ce manoir de Guengat, dont nous parlerons ci-après, se trouve une de ces pierres, dites à bassins, connue dans le pays sous le nom de lit de Saint-Delo. »

« L’on y remarque un creux d’une profondeur d’environ cinq centimètres affectant le froissement opéré par un corps couché sur un édredon, le personnage reposé sur le coude, la tête appuyée contre la paroi du roc qui en garde l’empreinte. »

« Nous ne pouvons mieux comparer la forme de ce rocher qu’à celle d’une chaise longue. Aux dires des gens de l’endroit, les fiévreux y viennent en pèlerinage pour s’y guérir. Saint Delo, si l’on en croit la tradition, importuné par les visites sans nombre que lui attiraient ses vertus, quitta ce lieu et se retira vers le pied de la montagne de Locronan, en la commune de Plogonnec, où plus tard on lui bâtit une église. »

« Ce Saint Delo nous semble être le même personnage que Saint Thélau, honoré à Plogonnec, et qui a, une église dans la commune, dont il partage le patronage avec Saint Eloi, et qui est située au pied de la montagne de Locronan. »

« De la lande où se trouve la chaise de saint Delo l’on aperçoit ce sanctuaire, et les paysans désignent cet endroit comme le lieu où s’était retiré le saint sur lequel nous aurons occasion de revenir en traitant de la commune de Plogonnec. »

Voici en plus la description faite par le Chanoine Perennes [2] dans la monographie sur la paroisse de Guengat de 1941 :

« Non loin de la gare de Guengat une petite route mène au village de Guinorvan. Dans ce hameau, près d’une fontaine et d’un lavoir, on rencontre deux blocs de granit avec cupules. En continuant à gravir la pente en direction du Nord-Est, en cinq minutes de marche, on se trouve à la croisée de deux chemins, en face d’un bloc de pierre. A l’examiner de plus près, on remarque que, taillé de façon rudimentaire, il affecte les formes d’une femme. La tête a disparu. Le bas du cou est marqué par un sillon, gravé dans le granit. A n’en pas douter, c’est là une idole païenne, à la limite de Guengat et de Plogonnec».

«Un peu plus haut, dans une lande appelée Goarem Sant Delo, on voit une pierre à bassin fort curieuse, dite Kador Sant Delo « chaise de Saint Thélau ». Un creux taillé dans la pierre permet de s’y asseoir. La tête est au repos dans une cavité de 0,20m de diamètre, forée un peu plus haut. Une autre cavité, sur la gauche du bloc de granit, peut recevoir les jambes. »

         «Autour de ce bloc singulier, d’autres rochers semblent monter la garde, dessinant une ligne circulaire et formant comme une enceinte dont le terrain est surélevé. Nous sommes là, vraisemblablement en face d’un ancien lieu de culte païen. On venait s’asseoir sur ce rocher pour tenter de faire passer en soi quelque chose de sa solidité et de sa force. Qu’on se rappelle à cet égard la fameuse chaise de Saint Ronan, ou plusieurs personnes allaient s’asseoir au cours de la grande Troménie. » « La tradition chrétienne a transformé ces pierres en « chaises de Saint Ronan et de Saint Thélau ». »

« De l’endroit où nous sommes on aperçoit la chapelle de saint Thélau en Plogonnec. Ce saint, si l’on en croit la tradition, importuné par les visites sans nombre que lui attiraient ses vertus, aurait quitté son ermitage de Guengat, pour se retirer au pied de la montagne de Locronan où on lui aurait, plus tard, bâti une chapelle. »

La description physique de H. Diverres reste assez concise et sommaire. Il ne précise pas clairement le lieu d’implantation de la chaise. Par contre le récit du Chanoine Perennes est plus complet :

1°) Il situe la chaise au bout d’un ensemble d’autres éléments.

2°) Il nous précise que la chaise est ceinturée par d’autres rochers.

3°) Tous les deux retiennent l’expression de « pierre à bassin ».

Afin de mieux appréhender les caractéristiques de cette chaise, il m’a semblé indispensable d’en faire l’observation géologique, plus particulièrement pour chercher d’où venait cette pierre et quelles en étaient les cavités artificielles.

  1. ORIGINE GÉOLOGIQUE.

D’où vient cette pierre et est-elle à sa place initiale ?

La réponse à cette double interrogation s’obtient par l’étude géologique de la structure de la roche et de son environnement.

2.2. A. La structure géologique.

L’observation réalisée par Monsieur Joël Rolet, de la répartition des minéraux constitutifs de la roche : une combinaison de muscovite et de diorite, conduit à classer la roche dans la catégorie du granit local, de type « Plogonnec/Locronan ». Il semble donc que la roche soit d’origine tout à fait locale.

2.2. B. L’environnement.

La Kador Sant Elo se situe presque au sommet d’une petite colline à mi distance entre le bourg de Guengat et la chapelle de Saint Elo en Plogonnec. Cette parcelle de terre a longtemps relevé de la paroisse de Plogonnec.

Les autres rochers qui l’entouraient à l’origine ont depuis été déplacés au cours des opérations de remembrement des terres agricoles dans les années 60. Ces blocs sont aujourd’hui repoussés au Sud-Ouest de la chaise.

  1. STRUCTURE GÉNÉRALE.

La “Kador Sant Elo” est orientée dans l’axe Sud-Ouest / Nord-Est comme la Gazeg Vaen de Locronan. Le siège de la chaise, situé à moins de 20 centimètres du niveau du sol actuel, regarde dans la direction du Nord-Est. La base de la chaise a la forme d’un losange grossier et certains de ses angles sont fort émoussés.

La circonférence de la chaise est de 535 centimètres.

Dans sa plus grande longueur, de la pointe Sud-Est à l’extrémité Nord-Ouest, la chaise fait 195 centimètres de long à sa base, mais elle fait 203 centimètres en sa plus ample longueur, à environ 153 centimètres de sa base.

Dans sa plus grande largeur, de l’extrémité Nord-Est à l’extrémité Sud-Ouest, elle fait 153 centimètres à la base.

Le plus haut point de la chaise se trouve à 116 centimètres du sol actuel. Le sommet du « dossier » de la chaise fait 60 centimètres dans sa plus grande largeur.

Vue de l’Est, cette chaise a un profil triangulaire.

  1. LES CAVITÉS.

La “Kador Sant Elo” comporte un certain nombre de cavités de tailles variables qui viennent scander la masse.

  1. LE CONTEXTE DES CAVITÉS.

La Kador Sant Elo comprend cinq cavités caractéristiques :

  • 2 cavités au niveau du siège.
  • 2 cavités au niveau du dossier.
  • 1 cavité au niveau du sommet ;

Toutes ces cavités sont situées du côté Est / Nord-Est de la chaise, en direction de l’actuelle chapelle de Saint Elo en Plogonnec. La patine de la pierre et la présence d’une mousse abondante sur ces cavités n’ont pas permis d’établir lesquelles étaient totalement naturelles et lesquelles auraient pu être totalement ou partiellement artificielles, à l’exception de la cavité du sommet qui semble avoir été taillée intentionnellement.

  1. DESCRIPTIF.

Pour décrire les cavités j’ai utilisé soit leur nom existant d’après la tradition, soit je leur ai attribué une désignation qui me semblait la mieux adaptée à leur réalité physique.

Je regroupe ainsi deux cavités du siège, deux cavités du dossier et une cavité du sommet de la chaise.

  1. les deux cavités au niveau du siège.

La tradition orale leur attribue un nom à chacune : la place de Sant Elo et la place du chevreuil. Cette désignation fait nettement référence à la légende dorée du saint avec l’évocation du cervidé.

  • la place de Sant Elo / Kador Sant Elo.

Cette cavité se situe dans l’axe Nord-Est de la chaise. Sa base, pentue vers le Nord-Est, glisse de 17 centimètres à 3 centimètres au dessus du sol actuel. En sa plus grande largeur elle fait 42 centimètres ; en sa plus grande longueur elle fait 73 centimètres de long. Elle est bordée au Nord-Est d’une sorte d’accoudoir qui de la base au dossier fait 23 centimètres de large et 37 centimètres de haut. Cet accoudoir enveloppe la place du saint au Nord-Est, sur un diamètre de 58 centimètres. A son extrémité, il ne fait plus que 17 centimètres de hauteur et à peine 5 centimètres d’épaisseur. Il est suivi d’une échancrure de 41 centimètres de long.

  • La place du chevreuil / Toul ar bizieuc’h.

Cette cavité se situe dans l’axe Sud-Est de la chaise. Sa base pentue vers le Sud-Ouest glisse en creux de 2 centimètres au Nord-Est à 27 centimètres au Sud-Ouest. En sa plus grande largeur elle fait 24 centimètres. En sa plus grande longueur elle fait 87 centimètres. Elle vient mordre au dessus de la place du saint dans le Nord-Est avec 6 centimètres de surplomb.

  1. les cavités du dossier

Je les désigne par le trou du dos et le trou de la tête, tant leur disposition est évidente.

  • le trou du dos.

Cette cavité se développe de façon irrégulière au dessus de la partie Nord-Ouest de la place du saint, sur une longueur de 50 centimètres. Sa plus grande profondeur est de 26 centimètres.

  • le trou de la tête.

Cette cavité se développe au dessus du trou du dos jusqu’au sommet de la chaise, sur une longueur de 27 centimètres. Sa plus grande largeur est de 22 centimètres, et sa plus ample profondeur est de 19 centimètres. Sa base est à un peu moins de 100 centimètres du sol actuel.

  1. les cavités du sommet

Le sommet de la chaise, dans sa pointe Nord, est formé de l’arrête semi-circulaire d’une cavité de 26 centimètres de diamètre et de 2,5 centimètres à 3 centimètres d’épaisseur. Le reste de cette cavité se fond en pente au Sud dans la masse du dossier.

  1. CONCLUSION.

La Kador Sant Elo est une pierre locale de par sa composition géologique. Elle présente un profil général de fauteuil très évident. Elle est orientée vers le soleil levant, à l’abri des vents d’Ouest.

Cette chaise a fait partie d’un ensemble cultuel plus conséquent car elle était disposée à l’origine dans un grand cercle balisé par d’autres grandes roches qui depuis ont été déplacées. Ce cercle s’inscrit lui même dans un autre ensemble sur ce versant de la colline avec l’ancienne idole (aujourd’hui disparue) et la pierre fendue en rigole de la mi-pente, et les pierres à cupules du bas de la pente ou coule le ruisseau de la fontaine de Saint Egonnec.

En direction presque opposée, cette chaise se réfère aussi à l’emplacement actuel de la chapelle de Saint Elo en Plogonnec. Enfin, elle est le complément avec le culte initial de la foudre du bourg de Plogonnec. Elle fait ainsi la synthèse d’une articulation religieuse entre ces trois éléments.

  1. RÉSUMÉ

KADOR SANT ELO

La “Kador Sant Elo” est une chaise « druidique » située sur le territoire de la commune de Guengat. L’approche géologique et critique de cette pierre conduit aux remarques suivantes :

1°) C’est une pierre locale de par sa composition géologique.

2°) Elle a fait partie d’un ensemble plus conséquent au milieu d’un cercle cultuel balisé de grosses roches. Ce cercle faisait lui-même partie d’un ensemble plus important de ce côté de la colline.

3°) L’ensemble cultuel de la “Kador Sant Elo” devait s’articuler avec un autre lieu de culte païen situé à peu de distance au pied de la colline de Locronan à l’emplacement de l’actuelle chapelle de saint Elo ainsi qu’avec le lieu de culte initial du bourg de Plogonnec.

André BOZEC.

  1. Croquis et photos

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[1] . Diverres (H), monographie de la commune de Guengat, B.S.A.F., T. XVIII, 1891, p. 45.

[2] . Perennes (H) Chanoine, monographie de la paroisse de Guengat, 1941, Imprimerie du Nouvelliste de Bretagne, Rennes, (60 pages), p.6.